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Vivre les langues pour s’épanouir

Compte-rendu d'une visio le 25 juin organisée par l'école de Commana avec Gilbert Dalgalian, linguiste

01/07/2022

Langue et langage : un seul processus pour deux acquisitions

Entre zéro et sept ans, l’enfant acquiert une langue maternelle, parfois deux, et même une troisième langue précoce, si les conditions sont réunies grâce à un environnement porteur pour ces langues. Et dans le cas de l’immersion, comme chez Diwan, cet environnement est optimal.

Mais derrière cette acquisition précoce d’un code, de deux codes ou de trois codes, s’est construite une autre dimension : l’aptitude à manipuler des signes – les mots de la langue – pour interagir avec la famille, les copains, la société. Cette aptitude ou faculté est à la fois sociale – pour communiquer – et neuronale, car elle ne peut se réaliser qu’en s’inscrivant dans plusieurs zones du cerveau. Cette faculté s’appelle le langage.

Résumons-nous : le français, le breton, l’anglais ou l’allemand sont des réalités linguistiques, des systèmes de signes, extérieurs à l’enfant ; ils s’acquièrent au contact de la famille ou de l’école. Mais simultanément autre chose s’est mis en place : une aptitude à communiquer qui s’inscrit dans les lobes du cerveau et construit cette fonction ou faculté appelée LANGAGE. Et c’est en s’appropriant les langues que le cerveau de l’enfant construit cette fonction sociale et cette nouvelle capacité neuronale. Le langage permet dès le départ de pratiquer une ou plusieurs langues.

Rappel des bénéfices d’un bilinguisme ou plurilinguisme précoces

Ce sont des banalités qu’il faut pourtant rappeler brièvement :

  • Primo, la seconde langue précoce ne s’acquiert pas au détriment de la langue première, par exemple le français ; au contraire, elle renforce --  à côté de la langue régionale – la pratique ou la maîtrise de la langue première, ici le français. Pourquoi ? Parce que le petit bilingue sera très vite amené à opérer des allers-retours d’une langue à l’autre. Il ne traduit pas, il reformule librement ce qu’il a à dire ou ce qu’il sait, en fonction de la situation et des interlocuteurs présents ou de son état d’esprit. Il reformule en omettant, en ajoutant, en affabulant, mentant ou en censurant. Et sous-jacents à ces allers-retours spontanés, c’est le caractère relatif et arbitraire des mots et des mises en phrases qui parvient à la conscience de l’enfant : il prend conscience que les mêmes choses se disent de façon différente, les phrases se construisent différemment et les mots ont des résonances culturelles différentes d’une langue à l’autre. Cette prise de conscience est un enrichissement permanent. Ce qui explique le point suivant.

  • Secundo, le jonglage permanent avec les sons, les sens et les concepts procure au petit bilingue une flexibilité et une agilité cérébrale que le monolinguisme ne favorise pas au même degré. Ce faisant, l’enfant ne subit pas le moindre surmenage ; il apprend à son rythme, selon ses besoins du moment et toujours en situation concrète. La construction neuronale se fait progressivement, de façon spontanée sous influence de son environnement.

  • Tertio, ce petit bilingue (ou plurilingue) apprendra plus tard aisément et rapidement d’autres langues, cette fois tardives après l’âge de sept ans, parce qu’il dispose de plusieurs stocks de sons, de plusieurs stocks lexicaux et grammaticaux qu’il va pouvoir transférer à ces autres langues. En résumé, le bilingue précoce est un plurilingue en herbe.

  • Pour toutes ces raisons, on peut dire que le bilinguisme précoce est en quelque sorte la première université de l’enfant.

Cependant, au-delà de ces multiples bénéfices, il me faut en venir maintenant à ce qui est le plus important dans cette construction de la fonction "langage". Ce qui fait que l’être parlant devient une personne singulière et unique.

L’individuation et l’épanouissement

L’activité langagière a de multiples facettes* et c’est dans chacune de ces facettes que l’enfant parlant fait des choix et construit non seulement le langage, mais aussi sa personnalité. D’abord avec les mots et les échanges quotidiens, l’enfant apprend à désigner les objets, à décrire un évènement ou un phénomène. Il apprend à référencer le monde. On appelle cela la fonction référentielle. Puis avec des énoncés plus complexes, chacun et chacune provoque ou subit des interactions, des pressions, des influences. Ici c’est une dimension à la fois sociale et pragmatique de la communication : tout ce qui permet de provoquer une réaction de l’interlocuteur, de le faire agir, ou de l’obliger. Ensuite, grâce à la capacité naissante de décrire et de de nommer les choses, chacun apprend aussi à préciser le sens d’un mot, d’une phrase, et bientôt à définir une idée, un concept. Cela, surtout avec l’éducation scolaire. Cette réflexion sur les mots, sur la langue, s’appelle la fonction métalinguistique. On parle de la langue pour mieux la comprendre.

C’est là qu’il convient de préciser que la référence, l’interaction pragmatique et la fonction métalinguistique ne sont que les dimensions  instrumentales du langage. Mais pas sa dimension la plus profonde du point de vue de la formation de l’individu.

L’activité langagière recèle en effet deux autres fonctions essentielles. La plus évidente est d’ordre socio-affectif : on parle non plus pour décrire, interagir ou expliquer un mot, mais tout simplement pour établir un contact, entrer en relation avec l’autre, sans attendre quelque autre résultat que cette relation. Le socio-affectif est alors seul à l’œuvre. On parle pour être avec l’autre. On apprend le savoir-vivre à l’aide des mots. Avec les mots, on construit des affinités, et on relativise les différences. Le langage permet de pratiquer l’empathie et souvent de se sunstituer à la violence. Enfin, il existe une dernière fonction qui n’exige même pas la présence d’un interlocuteur. On crie, on peste, on jure, on explose de joie ou de colère, ou on gémit tout seul sur son sort. Bref, on ne communique qu’avec soi-même. C’est la fonction expressive du langage. On se défoule, on s’exprime. Cette expressivité aura des prolongements plus tard dans l’art, la poésie, le théâtre.

Or ce sont ces deux dernières fonctions qui offrent à chacun et chacune les terrains privilégiés où va pouvoir s’affirmer sa personnalité propre, d’abord comme enfant, puis comme adolescent et adulte. Ce qui va bien au-delà des dimensions de la référence ou de l’interaction. Car ces deux fonctions – socio-affective et expressive – favorisent la singularité de chaque enfant, sa place et son originalité au sein du groupe, dans sa famille, plus tard sa place dans le monde et dans lavie.

C’est lorsque ces dimensions ont été mises en place très tôt chez un jeune être en construction que son individuation devient possible. Il dispose alors de ressources pour s’affirmer, se distinguer, éventuellement pour s’opposer ou se rebeller et toujours pour se percevoir comme différent de tous les autres. C’est dans ce long processus de l’individuation qu’en s’aidant de sa ou de ses langues que l’enfant se cherche, se trouve, se définit dans le vaste champ des possibilités, des désirs, des comportements et des activités. C’est là que son entourage l’aide, tout en le contrariant constamment : c’est ce qu’on appelle l’éducation.

Désormais son rapport au langage n’est plus seulement référentiel ou instrumental ; c’est un rapport d’insertion dans le monde et la société. Si, en outre, l’enfant pratique deux ou trois langues, son insertion s’en trouve facilitée et enrichie. Il dispose d’une palette de choix culturels, sociaux et comportementaux plus large que dans une éducation monolingue. Sa liberté d’expression, ses choix personnels en sont accrus. Sa personnalité en devient d’autant plus unique et complexe.

C’est probablement cet ensemble de bénéfices -- qui ne sont pas seulement linguistiques, mais aussi conceptuels et culturels – qui explique que, quatre années de suite, au classement des meilleurs lycées de France en fonction des résultats au bac, c’est le lycée Diwan de Carhaix qui fut classé premier, devant tous les grands lycées parisiens.

Gilbert Dalgalian

 

* Ces facettes ne sont autres que les fameuses « Fonctions du langage » de Roman Jacobson, que je reprends ici dans un effort de vulgarisation pour un public de parents d’élèves concernés par l’éducation bilingue de leurs enfants. Ce faisant, j’essaie de saisir les ressources latentes de ces « Fonctions du langage » qui enrichissent la formation de chaque être humain dès l’enfance.

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